Vivre les deux versants de l’intelligence

Pourquoi la dynamique de l’imaginaire peut-elle agir sur les causes originelles de la problématique, alors que la pensée consciente se montre inapte à remonter jusqu’à ces lointaines archives de notre vie ?

Il serait bien commode de ranger l’action de l’imaginaire sur le rayon des valeurs irrationnelles desquelles, par définition, le mental peut légitimement se désintéresser ! Le dédain du mental pour l’irrationnel manifeste en fait ses propres limites, Car, ce que nous considérons comme irrationnel n’est qu’un inconfortable masque posé sur des processus rationnels non encore identifiés ! Tant que je reste sur le plan des informations reçues de mes sens, tant que je réagis à ces informations en fonction des buts que je me suis donnés, des objectifs que je souhaite atteindre, le mental me rassure en me fournissant la faculté de comprendre, de calculer, de prévoir, de comparer, de décider… Toutes ces opérations se développent de façon satisfaisante parce qu’elles sont « encadrées » par les repères spatiaux temporels et la loi de causalité, qui sont les bases de la rationalité, Toute notre activité mentale repose sur ces données : je suis au point A, il est telle heure, pour me rendre au point B distant de n kilomètres, il me faut tant de temps parce que je dispose d’un véhicule. Il serait stupide de nier l’utilité de cette logique sur laquelle repose la marche apparente du monde. C’est par elle que l’intelligence intellectuelle de l’homme s’est développée au point que nous constatons. Ce fabuleux instrument peut aussi, à l’occasion, se faire trompeur mais il déteste reconnaître s’être trompé (et de nous avoir trompé !). Il possède une remarquable capacité à multiplier de fausses justifications qui finissent par constituer un réseau labyrinthique dons lequel il s’égare lui-même. Jaloux de ses prérogatives, il manifeste une volonté exacerbée de maîtrise des choses de la vie, excès qui se traduit par une répression forcenée de l’autre versant de l’intelligence, de celui qui s’exprime par l’analogie et qui, seul, est en mesure de rendre à la personne perdue dans le labyrinthe de la pensée logique, le sens juste. Cette autre face de l’intelligence va, au cours d’un rêve éveillé, s’exprimer dons ce que j’appelle la dynamique de l’imaginaire. Celle-ci refuse de se soumettre aux impératifs du « parce que » et se déploie dans une dimension régie par le « tout se passe comme si !» Toute personne, quels que soient son degré de culture et sa faculté de raisonnement, découvre, à travers le rêve éveillé libre, l’extraordinaire richesse de cette connaissance universelle qui gisait en elle et dont elle ne soupçonnait pas l’existence.

Le symbole prend sens, et sens universel, par la convergence de deux facteurs physiologiques.

– D’abord la structure neuronale centrale, produit de l’expérience des milliers de générations d ‘ancêtres qui nous ont précédés. Cette structure ne contient pas d’image, seulement des empreintes biologiques qui prédisposent à la production d’archétypes.

– Les acquisitions sensorielles, particulièrement visuelles, du bébé et du jeune enfant viennent ensuite s’organiser par rapport à ces substrats biologiques, en fonction surtout des caractéristiques formelles de la figure symbolique personnage, animal, plante ou objet, C’est ainsi que l’intelligence symbolique établit un lien entre des figures aussi disparates, pour la pensée logique, que la chouette, la paire de lunettes et la bicyclette. Là où le mental ne soupçonne aucune caractéristique commune aux trois images, l’intelligence analogique voit trois figures essentiellement composées d’une paire de cercles auxquels quelques traits secondaires suffisent à donner la forme d’une chouette, d’une paire de lunettes ou d’une bicyclette. D’innombrables exemples montrent la réalité et la puissance de ces rapports analogiques. Ainsi, des dispositions innées et des millions d’acquisitions inconscientes se conjuguent pour former, dans le dispositif neuronal, avant même l’apparition de la capacité conceptuelle, (« l’âge de raison »), un immense trésor de connaissances qui ne doit rien à l’éducation normalisée. C’est lui qui nous permet d’entrer en résonance avec la poésie et les contes de fées, que l’intellect considère naturellement avec méfiance. C’est lui qui s’exprime dans le rêve éveillé libre, transgressant les défenses enchevêtrées du mental et redonnant accès à la liberté d’être, au naturel.

« Le contact vital avec la réalité concerne le dynamisme intime de notre vie. Les concepts rigides de notre pensée spatiale ne sauraient l’atteindre. Les métaphores semblent être bien plus à leur place ici que les définitions. Ce sont elles qui sont appelées à rendre plus claire la notion du contact vital avec la réalité. »

Écrites en 1927 par un éminent psychiatre, Eugène Minkowski, ces lignes sont un magnifique hommage aux vertus réparatrices du rêve éveillé libre. Le versant de l’intelligence en œuvre dans la dynamique de l’imaginaire s’exprime essentiellement par la métaphore. Le langage du rêve est un langage de nature « anima », un langage d’âme. Affranchi des rigidités du mental, il offre une possibilité d’émergence aux données intuitives, habituellement réprimées par l’Intellect raisonnant. Il est sans doute aussi la seule voie d’accès aux archives secrètes enracinées dans cette préhistoire que fut notre première enfance.

Georges ROMEY (Dans Spasmagazine – juillet | août 2005)

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